Manuel Bompard, a livré hier un entretien au journal L’Humanité. Le coordinateur insoumis et député de Marseille livre une analyse riche et précise sur le piège tendu par Emmanuel Macron aux dirigeants du Nouveau Front Populaire. Ce mardi, à 14 heures, ces derniers – à l’exception des insoumis habitués à déjouer les coups de force du chef de l’État – ont accepté de rencontrer le chef de l’État à l’origine du blocage politique du pays par son refus de reconnaître la victoire du NFP aux élections législatives.
Le coordinateur de LFI rappelle que le « pacte de non censure » avec Gabriel Attal et Bruno Retailleau reviendrait à renier en bloc le programme du NFP, pourtant signé en juin par les dirigeants du PS, du PCF et d’EELV, et par voie de conséquences, reviendrait à trahir les électeurs et à détruire le NFP. Le député de Marseille rappelle aussi qu’en cas de refus par Macron de nommer un gouvernement du NFP, sa démission – voulue par 64 % des Français – serait la seule solution pour que le pays retrouve sa stabilité. L’Insoumission retranscrit dans ses colonnes son interview.
Bompard : « Il ne peut pas être question d’un programme commun avec Gabriel Attal et Bruno Retailleau »
Vous réclamez toujours la nomination d’un premier ministre issu du Nouveau Front populaire (NFP). Dans le contexte actuel, à quoi ressemblerait son gouvernement ?
Sa base programmatique serait claire : le programme du NFP, qui est sorti en tête aux législatives. Ensuite, avec l’ensemble des composantes de l’alliance et dirigé par Lucie Castets, ce gouvernement devra aller gagner des majorités à l’Assemblée. Lors de la séquence budgétaire, nous avons fait voter plus de 150 amendements par les députés. C’est possible !
Vous avez refusé de rencontrer Emmanuel Macron, à l’inverse des socialistes, des écologistes et des communistes, qui ne veulent pas que la gauche apparaisse comme le facteur du blocage. N’est-ce pas le risque de votre stratégie ?
Emmanuel Macron doit se tourner vers le bloc arrivé en tête pour lui demander de former un gouvernement. Les consultations à l’Élysée suivent son allocution de jeudi, où il dit vouloir constituer un gouvernement d’union nationale. Y participer revient donc à s’inscrire dans cette perspective. J’y suis hostile.
Personne n’ignore que nous n’avons pas de majorité absolue et qu’il faut, texte par texte, construire des compromis parlementaires. C’est la méthode que nous avons définie en juillet. Mais un pacte de non-censure, c’est-à-dire un programme commun avec Gabriel Attal et Bruno Retailleau, c’est autre chose. Il ne peut pas en être question.
Mais, dans votre scénario, le gouvernement du NFP sera immédiatement censuré…
Il peut agir avant la censure et gagner du soutien populaire. Si la première mesure est d’augmenter le Smic par décret, c’est donc un gouvernement qui vient d’augmenter le Smic qui est censuré. Le rapport de force se mène avec le pays.
Dans nos colonnes, Fabien Roussel proposait, lundi, un « pacte social et républicain » pour que l’extrême droite ne « dicte » plus la politique du gouvernement. Qu’en pensez-vous ?
Je suis d’accord avec les mesures qu’il met sur la table, puisqu’elles sont dans le programme du NFP : abrogation de la réforme des retraites, augmentation du Smic, hausse des salaires… Mais croyez-vous qu’il soit possible d’obtenir un accord sur cette base avec Gabriel Attal ? Soyons sérieux.
Pour aller plus loin : « Emmanuel Macron ne finira pas son mandat » – Interview de Manuel Bompard à la Provence
Le désaccord porte donc sur la stratégie plus que sur le fond…
Ça dépend avec qui. Lorsque Olivier Faure dit qu’il est prêt à renoncer à l’abrogation de la retraite à 64 ans pour une conférence de financement au bout de laquelle on verra ce qu’on décide, nous ne sommes pas d’accord. Il y a une majorité à l’Assemblée pour voter l’abrogation. Pourquoi y renoncer ?
Disons-le franchement : soit le désaccord n’est qu’un désaccord de communication, et alors il ne sert à rien de crédibiliser l’opération politicienne de Macron, qui se donne un rôle qui n’est pas le sien ; soit certains sont prêts à brader le programme du NFP pour rentrer dans une grande coalition sur la base d’un programme minimal de gouvernement, et ce serait une trahison du mandat que nous ont confié les électrices et les électeurs. Dans les deux cas, c’est grave.
Deux blocs sur les trois doivent, au minimum, se mettre d’accord pour que l’un gouverne, non ?
Emmanuel Macron pourrait dire à ses députés de ne pas censurer un gouvernement du NFP. Il ne le fait pas. Imaginez à quoi ressemblerait le pays s’il y avait un gouvernement allant des insoumis aux « Républicains ». La seule force d’opposition serait le RN. C’est arrivé en Italie. Et qui dirige le pays ? L’extrême droite.
Ce serait un suicide pour la gauche. Le pacte de non-censure se retournera contre le PS : Macron va nommer quelqu’un de droite et dire aux socialistes qu’il faut un pacte de non-censure avec Bruno Retailleau à l’Intérieur. Je souhaite bon courage à ceux qui, à gauche, vont dire qu’il ne faut pas censurer un tel gouvernement.
« J’assume de dire que la solution passe par le départ d’Emmanuel Macron. Près de 65 % des Français sont d’accord avec moi. »
Emmanuel Macron a balayé l’hypothèse d’une démission. N’est-ce pas hasardeux de tout miser sur sa seule décision ?
La nomination d’un gouvernement est aussi la décision d’une personne. Nous sommes prêts à gouverner si Macron se tourne vers nous. Sinon, j’assume de dire que la solution passe par son départ. Près de 65 % des Français sont d’accord avec moi.
Il y a dix jours, Jean-Luc Mélenchon évoquait une candidature commune de la gauche, mais sans le PCF et l’aile droite du PS. Avez-vous entériné la mort du NFP ?
On se prépare à l’hypothèse d’une présidentielle anticipée. La Constitution parle d’un délai de vingt à trente-cinq jours avant le scrutin, donc cela nécessite d’avoir anticipé les choses. Dans cette hypothèse, nous ferons une proposition de candidature commune. Au vu des 22 % que nous avons réalisés, il y a deux ans, c’est légitime et de notre responsabilité de proposer une candidature issue de nos rangs.
Nous n’excluons personne, mais nous avons écouté ce que les uns et les autres disaient à ce sujet. Fabien Roussel a déclaré que s’il devait à nouveau être candidat (concernant sa seule circonscription – NDLR), ce serait sans les insoumis. On en a pris acte. Quant à l’aile droite du PS, je ne ferai pas l’offense de vous rappeler l’ensemble de leurs prises de position contre la FI.
Une gauche divisée, dans une campagne express, est-ce l’assurance d’une défaite ?