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vendredi 28 février 2025

Du NSDAP à l’AFD : le 30 janvier 1933 en Allemagne, une droite irresponsable confie le pouvoir aux nazis(part2)

 

 Le gouvernement fait ainsi passer le budget en détournant cet article de son objet originel : ni « la sécurité », ni « l’ordre public » ne sont « gravement compromis ou menacés » ! Toutefois, le Parlement résiste et vote, en vertu de l’article 48-3, une motion de rejet, qui provoque la dissolution du Parlement – la première d’une série de quatre dissolutions entre 1930 et 1933 – par le Président. Toutefois, le Président fait passer le budget tout de même, par ordonnance, avant l’élection de la nouvelle assemblée, ce qui constitue un véritable coup de force (juillet 1930).

Mais la dissolution est un échec : l’Assemblée qui résulte des élections du 14 septembre 1930 est encore plus ingouvernable que la précédente, marquée par un tassement des partis des coalitions gouvernementales (gauche modérée, centre et droite) et une progression des communistes (KPD) avec 13,1 % des voix et, surtout, du NSDAP (parti nazi) qui passe de 2,6 % des voix en 1928 à 18,3 %.

Qu’importe pour les conservateurs : le gouvernement de Brüning, maintenu dans ses fonctions, gouvernera par ordonnances et décrets. Mieux, il échappe à la motion de rejet (on dirait en France « de censure ») par la bienveillance des sociaux-démocrates qui font le choix, tout en se disant dans l’opposition, d’une « politique de tolérance » vis-à-vis de Brüning, par peur de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite et pour sauver la République

« Après avoir voté contre les lois de Brüning et après avoir fait triompher une motion de censure contre l’ordonnance de juillet [1930], le SPD s’apprête à soutenir des mesures fiscales et sociales bien pires, non en votant pour elles, mais en s’abstenant chaque fois qu’une motion de rejet (article 48 alinéa 3) sera déposée contre une ordonnance de l’article 48-2. Les sociaux-démocrates défendent que Brüning est « le moindre mal », comparé aux nazis. Ils vont toutefois « tolérer » une politique économique et sociale qui, en aggravant la crise, nourrit le vote nazi comme jamais. »

J. Chapoutot, Les Irresponsables…, p.46

La droite aux affaires mène une politique économique et sociale inefficace et impopulaire

Cette « politique de tolérance » du SPD permet au chancelier de mener sa politique austéritaire qui, en réalité, asphyxie l’économie allemande. Par la déflation (baisse des salaires) Brüning espère redonner de la compétitivité à l’économie de son pays, dans le contexte de la grande dépression économique mondiale : c’est peine perdue face aux dévaluations monétaires et autres politiques protectionnistes menées par la plupart des autres pays.

Après s’être maintenu deux ans au pouvoir, l’honnête mais austère chancelier chute sur sa volonté d’assainir les aides aux territoires allemands les plus à l’est (Prusse orientale, Mecklembourg, etc.) : ces Osthilfe (aides à l’Est) sont largement détournées au profit des grands propriétaires terriens dont les intérêts sont défendus par Hindenburg, lui-même grand propriétaire terrien, qui, avec sa « Kamarilla » entrainée par le général von Schleicher, pousse Brüning à la démission (30 mai 1932).

Son successeur, l’aristocrate et homme de réseaux von Papen, très proche de Hindenburg, forme un gouvernement totalement « hors-sol » (1er juin – 3 décembre 1932), coupé des réalités du peuple, composé pour l’essentiel d’aristocrates et de grands bourgeois : on le surnomme « le cabinet des barons ». Le nouveau chancelier demande et obtient de Hindenburg de dissoudre le Parlement et d’organiser de nouvelles élections législatives.

Ce seront les élections du 31 juillet 1932. Ce choix est difficilement compréhensible car il est pris en pleine ascension électorale des nazis : Hitler vient de réaliser un très bon score à l’élection présidentielle (plus de 30 % des voix au premier tour, près de 37 % au second) et le NSDAP gagne ou progresse très fortement dans la plupart des élections locales (dans les Länder qui composent l’Allemagne, dans les municipalités aussi), au point que les nazis peuvent participer aux gouvernements locaux, ce qu’ils font depuis 1930 dans le Brunswick ou en Thuringe par exemple…

Bref, dissoudre dans la situation de montée de l’extrême droite relève d’un « pari fou » qui, naturellement, est perdu. Non seulement les nazis, profitant de la levée de l’interdiction des SA et des SS, milices nazies, par von Papen, organisent une violence inouïe durant la campagne électorale, causant plus de cent morts au cours de l’été 1932. Mais encore le gouvernement en profite pour prendre le contrôle du gouvernement du Land de Prusse (et en éliminer les sociaux-démocrates) et pour imposer des lois d’exception dans la région de Berlin – en pleine campagne électorale !

Le résultat : la base électorale du gouvernement s’effondre à moins de 10 % des voix ; les nazis en tirent tout le bénéfice avec 37,3%, leur « apogée électorale » comme le souligne Alfred Wahl (Alfred Wahl, L’Allemagne de 1918 à 1945, Armand Colin, 1993, p.80)


Peu importe, pour le chancelier von Papen, membre de cette aristocratie nostalgique de l’ancien régime impérial : il gouvernera sans majorité au Parlement, en tordant un peu plus le bras à la Constitution de 1919, selon les principes du retour « au capitalisme, à l’économie privée, à la libre initiative de l’individu ». Von Papen ajoute : « il faut assouplir et déréglementer partout où nous le pouvons » (Cité dans J. Chapoutot, Les irresponsables…, pp.147-154), tout en condamnant l’Etat-providence. Il mène une politique de l’offre que nous appellerions « néolibérale » fondée sur la dépense publique à destination des entreprises et la réduction des droits sociaux.

Ainsi s’en prend-il aux assurances chômage, renvoyant l’aide aux plus démunis vers la charité privée. Tout cela, toujours selon le chancelier von Papen, ne peut se faire que dans un Etat autoritaire : « L’ordre et la paix civile, et encore l’ordre […] sont les présupposés de toute vie économique qui repose sur la libre initiative de l’entreprise privée. » On ne saurait mieux définir le libéralisme autoritaire !

Mais, lors de la première séance de travail du Reichstag nouvellement élu, le 12 septembre 1932, le gouvernement von Papen est renversé par une motion de censure votée par 512 députés contre 42 ! C’est une humiliation pour le chancelier. Et pourtant, soutenu par seulement 7,5 % des députés, il s’accroche au pouvoir.

La « Kamarilla » autour du président Hindenburg offre la chancellerie à Hitler

Après avoir sapé le gouvernement de Brüning puis donné par la dissolution de juin 1932 une puissante assise parlementaire aux nazis, von Papen entame des discussions avec d’éventuels partenaires parmi lesquels les nazis. Il leur propose une participation au gouvernement, et même la vice-présidence de la chancellerie pour Hitler. Celui-ci, craignant non sans raison d’être affligé de l’impopularité du gouvernement von Papen, refuse et exige de devenir lui-même chancelier, ce qu’Hindenburg rejette avec hauteur. La situation est bloquée. Le ministre de l’Intérieur, von Gayl analyse la division de l’Assemblée en trois grandes forces politiques difficilement conciliables :

« On peut attribuer un bon tiers des électeurs aux nazis. […] La gauche ouvrière organisée dans le SPD, avec les communistes, est à peine moins forte. Entre ces deux piliers, il y a le centre comme force importante. »

Baron Wilhelm von Gayl, 10 août 1932, cité dans J. Chapoutot, Les Irresponsables…, p.171.

A suivre: Du NSDAP à l’AFD : le 30 janvier 1933 en Allemagne, une droite irresponsable confie le pouvoir aux nazis (part3)

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