A l’occasion du sommet sur l’intelligence artificielle prévu les 10 et 11 février, le chef de l’État compte poursuivre cette « colonisation numérique ». Au lieu d’une France qui agit en lobbyiste au service des Gafam qui monopolisent la production de connaissance et d’informations, le leader de LFI appelle à une alternative souveraine et ambitieuse : la construction d’une infrastructure numérique publique, la maîtrise des données et le développement d’une intelligence artificielle au service de l’intérêt général plutôt que du profit des grandes entreprises. L’Insoumission relaye dans ses colonnes la tribune de Jean-Luc Mélenchon.
« Emmanuel Macron transforme la France en colonie numérique » -Tribune de Jean-Luc Mélenchon
Les 10 et 11 février, se tient à Paris un sommet sur l’intelligence artificielle. Pour Emmanuel Macron, c’est l’occasion de se mettre en scène, avec des milliardaires étrangers, dirigeants de multinationales états-uniennes. Fièrement, l’Élysée annonce la présence à Paris du PDG de Google ou du vice-président des États-Unis, J.D. Vance, un homme issu des fonds d’investissements rapaces de la Silicon Valley. Et bien sûr, du côté du palais, on trépigne d’excitation à l’idée qu’Elon Musk lui-même accepte de venir voir les petits français.
Cette attitude, où l’on déroule le tapis rouge pour avoir une chance d’accueillir les grands seigneurs de la tech américains c’est celle des battus d’avance, celle des vaincus, celle des supplétifs. Macron n’arrive pas à imaginer que la France puisse se développer de manière indépendante en matière d’intelligence artificielle. Connait-il les atouts de notre pays ? Tout ne se résume pas aux piles de milliards. L’intelligence artificielle d’abord, se développe avec de l’intelligence humaine. La France en regorge ! Elle forme parmi les meilleurs chercheurs, les meilleurs ingénieurs dans ce domaine. Chez Meta, chez Google, les départements de recherche en IA sont pleins de français. Mais si leur propre pays se donnait une ambition, un objectif enthousiasmant, ces jeunes femmes et jeunes hommes ne voudraient-ils pas y contribuer ? N’a-t-on pas déjà créé ici les premiers modèles d’IA ? Et ne disposait-t-on pas de bases plus avancées même que celle de l’IA chinoise avec la base Bloom au CNRS ? Qu’est-elle devenue ? Mais pour cela, la France doit se distinguer, et ne pas accepter servilement tout ce que la tech américaine veut nous faire gober.
Il faut l’assumer : nous ne sommes pas d’accord avec le futur numérique que les Gafam et le gouvernement états-unien nous préparent. Les nouvelles sur ce front sont alarmantes. Pourquoi la France agit-elle en lobbyiste pour abaisser le niveau des garde-fous décidés par l’Europe face aux Gafam ? Pourquoi confier la production des règles d’usages et leur gouvernance à une Fondation privée comme le veulent les Gafam et Macron ? C’est à l’ONU et au droit international décidé par toutes les nations d’être les maîtres de ce monde nouveau. Le cœur des questions posées est dans la souveraineté sur les données et les usages qui en sont fait. Sinon, tout ce qui sera stocké en France par des entreprises américaines, sera accessible et utilisable aux USA du fait des lois d’extra-territorialité de ce pays.
Tous les domaines sensibles sont concernés qu’il s’agisse de recherche, de médecine, d’agriculture. Et de questions militaires, qu’il s’agisse de renseignements, d’armement ou de déploiement de force. Macron s’inquiète-t-il quand, quelques jours avant ce sommet, Google annonce renoncer officiellement à toutes restrictions concernant le développement de l’IA dans le domaine de l’armement et de la surveillance ? A-t-il oublié qu’Elon Musk manipule la circulation de l’information en toute opacité depuis qu’il a mis la main sur les algorithmes de Twitter ? Et que J.D. Vance représente un gouvernement qui menace d’invasion un pays ami et membre de l’Union européenne, le Danemark, n’a pas l’air de déranger le Président. Les velléités impérialistes des États-Unis sur le Groenland ne sont pas sans lien non plus avec la volonté de mettre la main sur des ressources minières stratégiques pour l’économie numérique. Sans capacité de stockage numérique indépendant, la France est en danger de colonisation numérique.
Le capitalisme numérique sous la forme des plus grands monopoles privés jamais formés dans l’histoire de l’Humanité pose un défi inédit. Car ce que ces géants monopolisent, c’est la production de connaissances sur les sociétés humaines et la circulation des informations entre les êtres humains. Tout le passé mais aussi tout le présent et donc le futur. Les milliards de milliards de données que ces plateformes collectent sur nos comportements leur permettent de faire émerger une connaissance fine sur la façon dont nous vivons, dont nous consommons, nous nous déplaçons . En observant des régularités du passé, ils peuvent prédire ce que nous allons faire.
De telles capacités, une telle concentration du savoir leur donne un pouvoir énorme. C’est le cas pour nous imposer des choix politiques, comme tente de le faire en ce moment Elon Musk avec l’extrême droite européenne. C’est aussi le cas pour capter la plus grande part de la richesse produite. En nous mettant dans la main des nouveaux seigneurs de la tech, nous nous soumettrons à leur diktat politique et à leur tribut économique. C’est le chemin que nous prenons. Car le gouvernement de François Bayrou, nommé, rappelons-le, contre le résultat des dernières élections législatives, applique au secteur numérique la stricte politique de l’offre.
Il se plie en quatre pour faire venir sur le sol français des milliards venus de l’étranger, surtout des États-Unis, sans conditions. Ainsi, il a annoncé «mettre à disposition» 35 sites en France pour construire des data centers, ces centres où sont stockées des données numériques. En faisant cela, il va renforcer les acteurs déjà dominants. Les branches du cloud d’Amazon et de Microsoft vont se renforcer en capacités de stockages, et donc en quantités de données qu’ils contrôlent et donc en nouveaux services numériques développés par ces entreprises. Un cercle vicieux qu’il faut briser.
Le 28 janvier, les Insoumis ont présenté une nouvelle version de leur programme historique, l’Avenir en Commun. Dès 2017, il avait formulé des mises en garde et proposition pour la nouvelle frontière numérique du territoire de la civilisation humaine. Celui-ci contient de nouveau une série de mesures pour conquérir notre indépendance sur le plan numérique. Comme par exemple le fait de créer un réseau de datacenters publics, gérés par l’État et des institutions publiques, interconnectés pour former un cloud véritablement français. Il s’agit de maîtriser les infrastructures clés et de constituer un domaine public des données. Cela doit nous permettre d’innover, de proposer de nouvelles solutions, d’entraîner des modèles d’intelligence artificielle voués à l’intérêt général plutôt qu’au profit et à la puissance d’entreprise devant des puissances souveraines. Est en jeu la liberté de la Noosphère qui désormais englobe toute la biosphère elle-même. C’est-à-dire de l’immense territoire de tout le savoir humain sur toute la réalité entièrement globalisé et numérisé. Pour cela, il faut nous desserrer de l’emprise techno-féodale des Elon Musk et des autres milliardaires de la Silicon Valley. L’Élysée fait le contraire.
Jean-Luc Mélenchon