Le dernier rapport du COR, publié le 11 juin 2025, s’inscrit pleinement dans cette stratégie de communication. Malgré ses apparences techniques, il fonctionne comme un outil de légitimation idéologique. Ce n’est pas un document neutre. C’est un cadrage politique visant à tuer dans l’œuf toute perspective d’abrogation de la réforme de 2023, voire à préparer le terrain pour une nouvelle contre-réforme. Il est donc urgent de remettre les faits à leur place.
Le rapport du COR : un système à l’équilibre, cadré à droite
Le Conseil d’orientation des retraites a rendu son rapport annuel le 11 juin dernier. Comme chaque année, il présente les perspectives financières du système à court, moyen et long terme, jusqu’en 2070. Et que montre-t-il ? À rebours du récit alarmiste relayé par le gouvernement et les médias, les conclusions du rapport sont claires : le système de retraite par répartition reste largement soutenable.
En 2024, le déficit s’élève à 1,7 milliard d’euros, soit 0,1 % du PIB. En 2030, il atteindrait 6,6 milliards (0,2 % du PIB), et 1,4 % du PIB à l’horizon 2070. Des montants modérés, surtout dans un pays qui consacre près de 1 600 milliards d’euros chaque année à ses dépenses publiques. Mieux encore : le poids des dépenses retraites dans la richesse nationale reste et restera stable, autour de 14 % du PIB, malgré le vieillissement de la population. Ce n’est donc pas une explosion des dépenses. Ainsi, le déficit provient d’un manque de recettes : elles se sont élevées à 13,9 % du PIB en 2024, mais elles devraient baisser de 0,1 point en 2030 et de 1,1 point en 2070.
Derrière ces chiffres relativement rassurants, le COR a pourtant glissé un message politique lourd : pour garantir l’équilibre du système, il faudrait porter l’âge légal de départ à la retraite à 64,3 ans en 2030, 65,9 ans en 2045, et 66,5 ans en 2070. Cette proposition, issue d’une pré-version du rapport fuitée dans la presse, a été vivement dénoncée par les syndicats, qui y ont vu une tentative manifeste d’instrumentalisation. À raison.
Depuis sa nomination, le nouveau président du COR, l’économiste néolibéral Gilbert Cette, ne cache pas son tropisme idéologique. Ex-président du groupe d’experts sur le Smic, fervent partisan de la flexibilisation du marché du travail, il a infléchi le ton du rapport dans un sens clairement favorable au gouvernement. Plusieurs passages problématiques, notamment un tableau classant les différentes pistes de financement en fonction de leur impact supposé sur la croissance, ont finalement été retirés de la version finale, sous la pression de plusieurs membres du COR.
Mais le mal est fait. Ce rapport, censé éclairer le débat public, écarte d’un revers de main toutes les pistes de recettes alternatives. Augmenter les cotisations patronales ? Mauvais pour la compétitivité. Augmenter les cotisations salariales ? Mauvais pour le pouvoir d’achat. Modérer les pensions ? Mauvais pour la demande. Seul horizon autorisé : travailler plus longtemps.
Une fois encore, le COR confond rigueur comptable et dogme néolibéral. Le déficit ne vient pas d’un « trou » structurel du système, mais de décisions politiques : le gel des effectifs dans la fonction publique, la généralisation de l’auto-entrepreneuriat, les exonérations massives de cotisations sociales non compensées. Rien que ces dernières représentent plus de 5 milliards d’euros par an, selon la Cour des comptes. Ce n’est donc pas le système qui dérape. Ce sont les politiques de désengagement de l’État et d’austérité salariale qui l’étouffent. Et cela, le COR 2025 ne le dit pas.
Pour aller plus loin : Retraites – La charge d’Éric Coquerel contre le rapport du COR
Non à 66 ans, oui à 60 ans : le combat continue
Le dernier rapport du COR, publié opportunément quelques jours après le vote à l’Assemblée nationale d’une résolution pour abroger la réforme des retraites de 2023, sert de justification politique pour enterrer ce débat démocratique. Le rapport ne se contente pas de constater un déficit modéré. Il affirme qu’il serait « nécessaire » de repousser l’âge de départ à 64,3 ans en 2030, 65,9 ans en 2045, et jusqu’à 66,5 ans en 2070, pour « équilibrer structurellement » le système. Une préconisation jamais vue auparavant dans un document du COR.
Comme le rappelle Éric Coquerel, président de la commission des finances, le COR version 2025 marque une rupture brutale avec son rôle traditionnel d’organe de diagnostic pluraliste. L’orientation unilatérale du rapport est flagrante. Le nouveau président, Gilbert Cette, économiste néolibéral, parachève ainsi la reprise en main de l’institution après que son prédécesseur, Pierre-Louis Bras, a eu le tort de rappeler que le déficit des retraites provenait d’abord d’un problème de recettes, et non de dépenses. Cela lui a valu d’être débarqué de son poste par Élisabeth Borne, lorsqu’elle était Première ministre.
Surtout, le report de l’âge de départ n’a rien d’une solution miracle. La réforme de 2023 était censée rétablir l’équilibre, dixit le camp présidentiel. Pourtant, le déficit attendu reste de 6,6 milliards d’euros en 2030 (0,2 % du PIB), et pourrait grimper à 1,4 % du PIB en 2070. Preuve que travailler plus longtemps ne règle rien, surtout dans un pays où l’espérance de vie en bonne santé plafonne à 62 ans.
En réalité, retarder la retraite aggrave la précarité sociale. Quand le Royaume-Uni a repoussé l’âge légal à 66 ans, 200 000 personnes ont basculé dans la pauvreté. Aujourd’hui, un retraité britannique sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. En Allemagne, avec un âge légal à 65 ans, 20 % des retraités sont menacés de précarité, et 11 % des 65-74 ans sont contraints de cumuler avec un petit boulot. En France, 43 % des nouveaux retraités en 2020 étaient déjà sans emploi avant de liquider leurs droits.
Et ce n’est pas un hasard. Comme le souligne Éric Coquerel, forcer les gens à travailler plus longtemps ne crée pas de richesse si la productivité stagne. Or, entre 2019 et 2023, la productivité en France a chuté de 3,5 %, alors qu’elle progressait de 0,6 % par an en moyenne entre 2011 et 2019. Résultat : les entreprises n’embauchent pas davantage de seniors, et le recul de l’âge légal ne fait qu’alimenter le chômage et la précarité, transférant les coûts vers France Travail et l’Assurance maladie. La pression sociale et psychologique s’accroît, alors même que l’espérance de vie en bonne santé plafonne à 62 ans pour les hommes comme pour les femmes.
Il est donc urgent d’actionner d’autres leviers. L’économiste Michaël Zemmour le rappelle : abroger la réforme de 2023 coûterait 0,6 point de PIB d’ici 2032, soit environ 16 milliards d’euros, finançables par une hausse modérée des cotisations : 0,15 point par an pendant six ans, à répartir entre employeurs et salariés. C’est possible, raisonnable et juste.
Et pourquoi ne pas faire mieux ? Ramener l’âge légal à 60 ans avec 40 annuités pour carrière complète, comme le proposent les insoumis, coûterait 27 milliards d’euros. Garantir qu’aucune pension ne tombe sous le seuil de pauvreté pour les minima vieillesse, et pas en dessous du SMIC pour une carrière complète, coûterait 28 milliards d’euros supplémentaires. Un coût, oui. Mais un coût pour le droit à la dignité.
Les solutions de financement ne manquent pas. Avant même d’inventer de nouveaux prélèvements, il faut déjà arrêter d’assécher les recettes actuelles. Le COR lui-même pointe le désengagement de l’État dans les régimes publics. La Cour des comptes chiffre à 5,5 milliards d’euros par an le coût des exonérations de cotisations non-compensées pour la sécurité sociale.
Ensuite, comme le rappelle Coquerel, il faut également cesser d’encourager le recours massif à l’auto-entrepreneuriat, bien souvent un salariat déguisé, qui ne rapporte rien aux caisses sociales. Rien qu’en 2024, 716 200 créations d’entreprises ont été enregistrées sous le régime de microentrepreneur.
De même, il est temps d’arrêter de discréditer les hausses de recettes. Parmi ces pistes immédiatement mobilisables :
• Une hausse de 1 point des cotisations patronales déplafonnées rapporterait 13,8 milliards d’euros, selon la Cour des comptes ;
•
Soumettre à cotisations les revenus issus des primes, de
l’intéressement et de la participation dégagerait 2,2 milliards,
auxquels s’ajouteraient 10 milliards supplémentaires si l’on y ajoutait
dividendes et rachats d’actions ;
• Aligner la fiscalité des produits
d’épargne retraite sur celle des salaires permettrait 6,4 milliards de
recettes supplémentaires.
À ces leviers s’ajoutent ceux du programme de l’Avenir en commun, le programme des insoumis, capables de dégager plus de 60 milliards d’euros par an, pour financer les urgences sociales et écologiques :
- Taxer les superprofits des grandes entreprises liées aux crises (guerres, pandémies, spéculation) : 10 à 20 milliards par an.
- Instaurer un impôt universel sur les entreprises : 18 milliards.
- Un véritable impôt sur la fortune : 10 milliards.
- Réformer les droits de succession sur les très grands patrimoines : 5 à 10 milliards.
- Revoir certaines niches fiscales jugées injustes : 15 à 20 milliards.
- Rétablir une fiscalité progressive sur les revenus financiers : 2 milliards.
- Imposer l’égalité salariale femmes-hommes : 11 milliards de cotisations supplémentaires.
- Augmenter les salaires, ce qui générerait a minima 12 milliards de cotisations.
- Créer un million d’emplois dans la bifurcation écologique : 16 milliards de cotisations nouvelles.
À cela s’ajoutent 4 milliards d’économies sur les prestations sociales et le chômage, directement liées à un retour à la retraite à 60 ans.
Mais il faut aussi mettre fin à la logique punitive qui structure notre système actuel. Il est temps de supprimer la décote, ce mécanisme injuste qui pénalise les carrières hachées, les femmes, les précaires, les accidentés du travail. Une réforme progressiste doit garantir la retraite pour toutes et tous, sans punition ni condition impossible à remplir.
Car la retraite à 60 ans n’est pas une lubie comptable. C’est un projet de société. C’est permettre aux travailleuses et travailleurs de choisir leur fin de carrière, de vivre dignement après une vie d’efforts, de profiter de leur famille, de rejoindre des associations, de faire du sport, de transmettre un savoir, de se reposer, tout simplement. Ce droit à la retraite, n’a pas été volté : il a été conquis de haute lutte. Et c’est par la mobilisation que nous le défendrons.
La réforme Macron n’a ni majorité sociale, ni majorité parlementaire. Si le conclave échoue à l’abroger, ce qui est plus que probable, alors il faudra censurer le gouvernement Bayrou. Car la retraite n’est pas une variable d’ajustement budgétaire, c’est un pilier de notre modèle social, et qui peut être sauvé.
La retraite par capitalisation : pas de Bourse pour les vieux jours
Derrière le débat sur l’âge de départ se profile un autre projet bien plus sournois : celui de remettre en cause notre système solidaire de retraite par répartition, au profit d’un modèle fondé sur la capitalisation. Ce scénario est désormais ouvertement assumé par le Medef, qui profite du « conclave » lancé par François Bayrou pour glisser ses ambitions dans le débat. « Il n’y aura pas de sujet tabou », a dit le Haut-Commissaire. Tant mieux : parlons-en franchement.
Depuis 1946, la France repose sur un système par répartition. Ce modèle repose sur la solidarité intergénérationnelle : les cotisations des actifs financent les pensions des retraités. Chaque génération paie pour la précédente et se voit garantir, en retour, une pension équitable. C’est un système collectif, protecteur, où chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses droits, en tenant compte des accidents de la vie : chômage, maternité, invalidité, carrières hachées.
La capitalisation, elle, repose sur une logique totalement inverse :
chacun épargne individuellement pour sa retraite future. Ce capital est
souvent confié à des fonds financiers privés censés le faire fructifier
sur les marchés. Ce modèle existe déjà en France, mais reste marginal :
seuls 16,6 % des ménages détenaient un produit d’épargne retraite en
2021. Et pour cause : quand les taux de remplacement restent élevés
grâce au système actuel (près de 75 % pour la génération 1950), personne
ne ressent le besoin d’aller jouer sa retraite en Bourse.
Les partisans de la capitalisation avancent trois arguments.
D’abord, que les rendements espérés sont supérieurs à ceux de la répartition : entre 2 % et 3 % par an dans certains pays. Ensuite, que ces capitaux massifs permettraient de doter la France de fonds de pension à l’américaine, capables d’investir à long terme dans l’économie. Enfin, que face au vieillissement démographique, la capitalisation offrirait une « solution durable » là où la répartition serait vouée au déficit, soi-disant.
Mais cette fable ne résiste pas à l’épreuve des faits. Premièrement, les fameux « rendements supérieurs » sont très incertains dans une économie vieillissante. Moins d’actifs, moins de croissance, moins de rendement du capital. Pour maintenir la promesse de gains, ces fonds devront investir dans des pays à forte dynamique démographique : autrement dit, les profits futurs ne financeront pas les écoles ou les hôpitaux, mais iront nourrir les marchés émergents. Un hold-up silencieux sur notre épargne, au détriment du développement national.
Deuxièmement, la capitalisation pose un problème de transition majeur. Passer d’un système solidaire à un système individualisé signifie qu’il faut financer les pensions des retraités actuels et les futurs droits par capitalisation. Ce « double paiement » coûterait au bas mot 20 milliards d’euros par an, rien que pour commencer à capitaliser à hauteur de 10 à 15 % du système. Un coût faramineux. Dans le contexte budgétaire actuel, cette transition serait soit financée par la dette publique (comme au Chili), soit par des privatisations (comme en Pologne dans les années 1990). Dans tous les cas, ce serait un transfert massif de richesse du public vers le privé. À choisir, investissons cet argent dans la santé, l’école ou la bifurcation écologique. Là, au moins, l’investissement profite à toutes et tous.
Troisièmement, la capitalisation renforce mécaniquement les inégalités. En Allemagne, le « plan Riester » lancé en 2001 devait compenser la baisse des retraites de base par des produits d’épargne subventionnés. Vingt ans plus tard, c’est un échec total : seuls 25 % des salariés ont souscrit, et les contrats « Riester » ne représentent que 5 % du revenu moyen des retraités. Résultat : les inégalités explosent. Le taux de pauvreté des plus de 65 ans atteint 20 %, et pourrait frôler 25 % en 2030. Les riches épargnent, les autres trinquent. À contrario, la France affiche l’un des taux les plus bas d’Europe : le système de retraite (par répartition) français protège plus efficacement que les autres ses retraités de la pauvreté.
Enfin, même dans sa version « douce », la capitalisation reste fondamentalement injuste. Encourager chacun à épargner suppose… d’avoir les moyens de le faire. Or les ouvriers, les jeunes précaires, les femmes aux carrières hachées n’ont souvent ni la stabilité ni les revenus pour épargner sur trente ans. La Cour des comptes a constaté que les dispositifs comme ceux issus de la loi Pacte sont surtout utilisés par les plus aisés, âgés, et les cadres de grandes entreprises. Résultat : les inégalités que l’on retrouve dans le monde du travail se retrouvent, démultipliées, à la retraite. Les riches spéculent pour des pensions dorées, pendant que les classes populaires s’enfoncent dans l’insécurité.
Certains affirment qu’avec assez de temps, les marchés « lissent » les risques. Peut-être. Mais à quel prix ? En Australie, après la crise de 2008, des milliers de retraités ont vu leur capital fondre et ont dû repousser leur départ en retraite. Et surtout : dans un modèle capitalisé, chacun devient responsable de ses pertes. Fini la retraite comme droit collectif : place à la retraite comme pari individuel.
Face à cette tentative de privatisation rampante, la fermeté est de mise : la retraite est un droit, pas un placement boursier. Ce n’est pas une loterie à la merci des krachs ou des fonds vautours. C’est un choix de société. Et le nôtre est clair : solidarité, répartition, dignité.
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Derrière les chiffres du COR, c’est un projet politique qui se dessine : faire travailler les plus longtemps, pour gagner moins, et demain, les pousser vers la retraite par capitalisation. Ce modèle, déjà testé ailleurs, mène à plus de précarité, plus d’inégalités, plus d’insécurité. Face à cette offensive, un choix doit être fait : subir ou résister. La retraite par répartition est un droit. Un pilier de solidarité que beaucoup voudraient démolir au profit des marchés.
Les néolibéraux au pouvoir ont l’argent, les cabinets de conseil et les plateaux télé. Nous avons la force du nombre : 80 % des Français étaient opposés à la réforme des retraites, 93 % en comptant seulement les actifs. Le combat continue, dans la rue, dans les urnes, dans les esprits.
Sources:linsoumission.fr (Par Elias Peschier)