Il y a toutes sortes d’autres choses qui sont mobilisées pour disqualifier et criminaliser. On peut citer, en 1989, l’épisode du stade de Hillsborough à Sheffield où eut lieu une rencontre de football entre Liverpool FC et Nottingham Forest. Suite à une gestion policière catastrophique de la foule se pressant à l’entrée du stade, 97 personnes périrent dans des conditions particulièrement horribles. Le lendemain, la presse à scandale, le Sun en tête, fait une page sortie du fond des enfers : des fans auraient volé des victimes, auraient uriné sur la police « courageuse », auraient agressé des policiers tentant de ranimer des personnes évanouies. Et cette couverture médiatique reçoit une validation politique de Thatcher affirmant que la police a fait de son mieux, etc. C’était tellement inqualifiable qu’il a fallu qu’un Premier ministre, 23 ans plus tard (en 2012) fasse des excuses publiques, en séance parlementaire, pour les dissimulations et mensonges de la police, la diffamation journalistique, l’acharnement de la presse et des médias contre les victimes et leurs familles. Cela dit, trente-deux ans plus tard, en 2021, aucun responsable n’avait encore été poursuivi, à l’exception du responsable de la sécurité du stade qui a reçu une amende de 6 500 livres sterling.
Au passage, le terme de « criminalisation » n’est pas le mien. C’est le
nom d’une politique mise en œuvre en Irlande du Nord par les
travaillistes à partir de mars 1976 et poursuivie avec une ferveur
fanatique par Thatcher dans les années 1980. Les prisonniers de l’IRA,
de l’INLA (autre organisation paramilitaire républicaine) incarcérés
dans la grande prison de Maze voient leurs droits spécifiques de
prisonniers à caractère politique retirés. « Criminalisation » fut
l’appellation même de cette stratégie (qui certes n’était pas dépourvue
de précédents). On ne fait plus de politique : la question républicaine
en Irlande du Nord était désormais affaire de criminalité et un peu plus
tard, en réponse à la grève de la faim de Bobby Sands, détenu dans la
prison de Maze, Thatcher déclara : « Crime is crime is crime. It is not political. »
On était donc dans une séquence de durcissement politique marqué par la
réduction criminelle, dans le champ politique et dans le champ
médiatique, des deux grands adversaires du pouvoir néoconservateur des
années 1980, c’est-à-dire le mouvement indépendantiste irlandais en
Irlande du Nord, et le mouvement syndical dans sa composante la plus
combative.
A suivre: Du Labour de Corbyn à LFI de Mélenchon, les médias contre la gauche (Part 3)