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mercredi 11 septembre 2024

Du Labour de Corbyn à LFI de Mélenchon, les médias contre la gauche (part 6)

Tu peux nous expliquer comment et pourquoi ces   accusations d’antisémitisme contre Corbyn ont     surgi à l’époque ?

À partir de 2017, il y a ces trois facteurs : augmentation des effectifs, mise en cohérence de l’appareil et progression électorale importante. Les corbynistes semblent avoir réussi à remettre le parti en ordre de marche pour revenir au pouvoir. Et c’est là que l’on passe à un ciblage concentré et systématique sur la question de l’antisémitisme, tout le reste n’ayant pas fonctionné jusqu’ici.

En mars 2018, commencent les marches du retour à Gaza. Et il y a ces images terribles des militaires israéliens qui abattent comme des animaux des gens qui marchent avec des drapeaux jusqu’à la frontière. Il y a environ 250 morts et des dizaines de milliers de blessés sur un peu plus d’un an. Corbyn est identifié comme un pro-palestinien historique. Il n’est pas un soutien complet du mouvement BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) mais on le juge quand même pas mal en phase. Il faut bien avoir en tête que le Palestine Solidarity Campaign, qui est l’un des plus gros mouvements anticoloniaux au monde et qui est à l’origine des grandes manifestations qu’on a vues ces derniers mois, est identifié comme très en lien avec Corbyn. Et comme traditionnellement, historiquement, la classe politique et les médias sont très pro-israéliens en Grande-Bretagne, il va donc falloir à la fois bloquer Corbyn et neutraliser les images qui viennent de Gaza. Donc plutôt que de parler de Gaza, on va dire « Corbyn est antisémite, et toute la gauche autour de lui, élus et camarades juifs et juives inclus, sont des antisémites », et ce à tout propos. Les exemples sont sans fin, mais je peux en donner un ou deux.

L’un des premiers scandales autour du prétendu antisémitisme de Corbyn, c’est un truc qu’il faudrait toujours rappeler. En avril 2018, Corbyn est invité au repas de Pessah par une organisation juive très à gauche et religieuse : Jewdas. Jewdas est vraiment dans la tradition de la gauche radicale juive, si centrale dans l’histoire de la gauche radicale européenne, et clairement antisioniste. Et c’est rapporté ainsi : il va fêter une fête juive avec des antisémites, et des gens (des Juifs pratiquants) qui pourraient encourager l’antisémitisme. Corbyn aurait commis une terrible erreur de jugement en acceptant leur invitation « à ce moment-là » (comme si plus tôt ou plus tard y aurait changé quoi que ce soit !). Et c’est parti ! Ça a été un des épisodes marquants du scandale. Et des exemples comme ça, ridicules, on peut les multiplier.

Un des premiers axes d’attaque, dans l’été qui a suivi, fut autour de l’IHRA (l’Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste) et de la définition de l’antisémitisme qu’elle reprend, assortie de onze exemples. À ce stade, cette définition avait été adoptée par neuf États dans le monde, dont Israël. C’est une définition qui a été rejetée par son concepteur même, Kenneth Stern, aux États-Unis, après avoir constaté l’usage qui en était fait sur les campus américains pour empêcher les gens de débattre sur la question palestinienne, notamment parce que sur les onze exemples utilisés, sept font l’amalgame entre critique d’Israël et antisémitisme. Pourtant on assiste à une campagne pour dire que le parti travailliste doit adopter cette définition pour apporter la preuve qu’il n’est pas antisémite. Les travaillistes disent « on va regarder », la pression est super forte, c’est le feuilleton de l’été 2018. Ils disent : « on peut adopter la définition mais on ne va pas garder tous les exemples parce qu’ils posent problème, notamment en termes de liberté d’expression ». Et le seul fait qu’ils disent que ça va poser problème suscite des critiques, on entend : « le parti travailliste, la gauche travailliste, Corbyn, ne veulent pas entendre parler d’une définition de l’antisémitisme, et donc c’est qu’ils sont antisémites ». Pour vous donner une idée de la teneur et du niveau des débats, je me rappelle avoir écouté une fameuse émission de la BBC (Women’s Hours, Radio 4) dans laquelle Margareth Hodge, qui est une vieille députée travailliste plutôt gauchiste dans les années 1970, mais devenue très droitière et pro-israélienne, affirme que c’est incroyable que le parti ne veuille pas adopter cette définition parce qu’elle explique qu’il y aurait « des tonnes de pays qui l’auraient déjà fait » (« tons of countries ») – alors qu’ils sont moins de dix en réalité à l’époque… C’est un mensonge caractérisé, de la pure désinformation, mais sans aucune correction d’aucune sorte de la part de l’intervieweuse.

Ce qui est intéressant, c’est que le parti libéral démocrate britannique a des élus qui sont clairement pro-palestiniens et qui ont eu un débat sur cette définition. Et il n’en a jamais été question une minute dans les médias britanniques. Le gros de la critique a porté sur les travaillistes, a été nourri de l’intérieur du parti par des composantes opposées à Corbyn et entretenu par l’inertie médiatique.

A suivre: Du Labour de Corbyn à LFI de Mélenchon, les médias contre la gauche (part 7)


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