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samedi 31 mai 2025

Dette sociale et « TVA sociale » : Macron et Bayrou veulent faire exploser le trésor d’Ambroise Croizat

 Les insoumis avaient prévenu dès 2022. Lors de la campagne des législatives, Jean-Luc Mélenchon et les insoumis alertaient déjà sur le danger d’une TVA sociale voulue par Emmanuel Macron. À l’époque, le gouvernement criait au « mensonge ». Pourtant, c’est bien cette option que le président remet sur la table en 2025, sous couvert de « refonte du financement social ».

Cette semaine, les insoumis tels que Manuel Bompard (sur France Info) et Éric Coquerel (sur C dans l’air) l’ont rappelé : la dette sociale n’est pas un mal nécessaire, c’est une construction politique. Une mise en scène. Ainsi, ce que beaucoup qualifiaient hier d’intox est désormais acté par les plus hautes sphères du pouvoir.

Le nouveau tour de passe-passe fiscal que préparent Emmanuel Macron et François Bayrou (la TVA sociale) vise ni plus ni moins qu’à faire payer les pauvres pour compenser les cadeaux fiscaux aux plus riches. Notre article.

Un héritage qu’on veut briser

Il faut d’abord se souvenir de ce qu’est la Sécurité sociale. Elle est l’une des plus grandes conquêtes sociales du XXᵉ siècle. Fruit du Conseil national de la Résistance, elle a été mise en œuvre par Ambroise Croizat, ministre communiste du Travail, dans l’immédiat après-guerre.

L’objectif était simple et révolutionnaire : garantir à chacun, « du berceau à la tombe », la protection contre les aléas de la vie (maladie, accidents, vieillesse, chômage).

Construite sur le principe de la solidarité intergénérationnelle et du salaire socialisé, la Sécu n’est ni une aumône, ni une faveur de l’État : c’est un droit, conquis par les travailleurs, financé par leur travail.

Comme le montre Nicolas Da Silva, économiste et auteur du livre La bataille de la Sécu, le projet initial ne confiait pas la gestion de la Sécu à l’État, mais aux travailleurs eux-mêmes. Ce sont les salariés qui administraient le système, avec une majorité sur les représentants du patronat. Jusqu’aux ordonnances de 1967 imposées par le général de Gaulle, cette structure incarnait une véritable esquisse d’autogestion de la classe travailleuse.

La Sécu était donc bien plus qu’un filet de sécurité : c’était un outil de pouvoir ouvrier, un espace de gestion directe des richesses créées par le travail. Réduire aujourd’hui la Sécurité sociale à une simple dépense à contrôler dans le budget de l’État, c’est nier son histoire, sa portée démocratique et son potentiel d’émancipation. C’est un basculement grave : de la cogestion sociale vers une centralisation technocratique, au nom de la « maîtrise des comptes ».

Pour aller plus loin : Dette publique – Un vieux chantage pour mieux saboter l’État social






















Un faux déficit pour une vraie arnaque

Mais au fond, de quoi parle-t-on quand on évoque la « dette sociale » ? Il s’agit des dettes accumulées par les différentes branches de la Sécurité sociale (santé, retraite, famille, accidents du travail), lorsqu’elles dépensent plus qu’elles ne perçoivent de recettes.

À la différence de la dette de l’État, la dette sociale est gérée par un organisme dédié, la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale), créée en 1996. Sa particularité ? Elle doit être remboursée intégralement et à échéance, notamment grâce à une taxe spécifique : la CRDS, prélevée sur tous les revenus des ménages.

Contrairement à la dette publique classique, que l’État peut faire « rouler » sans remboursement immédiat, la dette sociale est traitée comme une ardoise à effacer coûte que coûte. Ce choix comptable et politique en fait un levier de rigueur budgétaire : au nom du remboursement, on justifie des coupes dans les droits sociaux.

Aujourd’hui, on nous dit que la Sécu est « en faillite ». La Cour des comptes parle d’un déficit de 22,1 milliards d’euros en 2025, pouvant atteindre 24,1 milliards en 2028. Mais ce chiffre est trompeur, comme l’a très bien expliqué Éric Coquerel sur le plateau de C dans l’air.

Le régime de la Sécu n’est pas structurellement en déficit. Les dépenses de santé et de retraites sont globalement couvertes par les recettes. Ce qui plombe les comptes, ce sont des charges externes et indues, comme le remboursement de la dette COVID, transférée à la Sécurité sociale au lieu de rester à la charge de l’État.

Ainsi, 92 milliards d’euros ont été mis sur le dos de la Sécu, notamment pour financer le chômage partiel, pourtant sans lien direct avec ses missions. Résultat : chaque année, la Sécu rembourse 19 milliards d’euros à la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale). Contrairement à la dette de l’État, que l’on fait rouler sans jamais rembourser le capital, la dette sociale, elle, est remboursée intégralement.

Par ailleurs, la pandémie de Covid-19 a fortement sollicité notre modèle social. Les dépenses indirectes, comme les revalorisations du Ségur de la santé ou l’effet de l’inflation sur les prestations, ont mécaniquement pesé sur les comptes sociaux. Mais le vrai défi est structurel : une population qui vieillit, moins de naissances, une croissance en berne (le FMI prévoit à peine 0,6 % pour la France), et une hausse des besoins vitaux à couvrir, notamment pour les retraites, la santé ou la dépendance. Face à cela, que propose le gouvernement ? Rien, sinon des coupes et des discours sur la rigueur.

Pourtant, une autre voie est possible : réduire le temps de travail pour améliorer les conditions de vie, mieux partager l’emploi et anticiper les mutations du travail. Mais cette solution, pourtant rationnelle, écologique et juste, est absente des radars d’un pouvoir qui préfère l’austérité à l’ambition sociale.

Le vrai problème : les recettes volées à cause des politiques macronistes

Il ne s’agit donc pas d’un « trou de la Sécu » mais bien d’un trou dans les recettes, creusé délibérément. Comme le rappelle Caroline Michel-Aguirre sur C dans l’air : « 80 % du problème vient de la baisse des recettes ». Le rapport de la Cour des comptes est sans appel : la Sécurité sociale perd chaque année 19 milliards d’euros à cause des exonérations de cotisations et des primes défiscalisées. Pour ces dernières, c’est 9 milliards en plus qu’en 2018, soit une progression presque équivalente à celle du déficit hors COVID.

Ce manque à gagner est principalement dû aux politiques d’allègement de cotisations, qui atteignent aujourd’hui près de 90 milliards d’euros par an. Présentées comme des leviers pour l’emploi, ces exonérations n’ont pourtant jamais démontré leur efficacité sur les salaires ou l’embauche. Elles ont surtout permis aux entreprises de réduire leur contribution sans contrepartie. Les dispositifs comme la « prime Macron » en sont l’illustration parfaite : versée sans cotisation, elle contourne les hausses de salaires pérennes et prive la protection sociale de ressources essentielles. En clair : les employeurs encaissent, les droits sociaux trinquent.

Ce basculement des cotisations vers l’impôt n’est pas nouveau. Leur réponse a été d’alléger les cotisations sociales, principalement au niveau du SMIC, avec pour corollaire une transformation en profondeur du financement de la protection sociale : sa fiscalisation croissante.

C’est dans cette logique qu’a été instaurée la Contribution sociale généralisée (CSG) en 1990, destinée à élargir la base de financement au-delà du seul travail salarié. Mais loin de renforcer la Sécurité sociale, cette fiscalisation a contribué à la rendre plus vulnérable aux arbitrages budgétaires de l’État, tout en réduisant le lien direct entre cotisations et droits sociaux. Une manière insidieuse de faire sortir la Sécu du giron des travailleurs pour l’aligner toujours davantage sur les logiques d’austérité.

Manuel Bompard, coordinateur de LFI, l’a résumé clairement : le déficit de la Sécu est « le résultat de décisions politiques », pas d’une explosion des dépenses.

Et pourtant, des alternatives justes existent :

  • Les insoumis avaient proposé des amendements pendant les débats sur le PFLSS (Projet de loi finances de la Sécurité sociale) générant 20 milliards d’euros de recettes supplémentaires, sans toucher aux droits.
  • Une taxation des dividendes permettrait de récupérer 10 milliards par an.
  • L’économiste Michaël Zemmour a montré qu’il suffirait d’augmenter les cotisations de 0,15 point par an pendant 7 ans pour équilibrer les retraites.
  • Enfin, récupérer une partie des 60 milliards d’euros perdus par Macron en cadeaux fiscaux annuels permettrait de redonner des marges aux politiques sociales.

Face à l’hémorragie des exonérations patronales, il est urgent également de réformer un système à bout de souffle. Les économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer proposent une refonte qui rompt avec trente ans d’obsession pour le « coût du travail ». Leur idée : lisser les exonérations en augmentant légèrement les cotisations sociales sur les salaires proches du SMIC, et en les réduisant progressivement jusqu’à 2,5 SMIC (contre 3,5 aujourd’hui).

Une telle réforme permettrait non seulement de récupérer des recettes, mais aussi de favoriser la revalorisation salariale, avec un impact neutre sur l’emploi voire positif (+9 460 emplois selon leurs calculs). Surtout, elle corrigerait un effet pervers bien connu : aujourd’hui, augmenter un salarié proche du SMIC coûte plus cher à cause de la perte d’exonérations. Ce piège à bas salaires serait enfin désamorcé, au bénéfice des travailleurs et de la Sécurité sociale.

C’est une voie concrète, crédible, et infiniment plus juste que la TVA sociale.

Macron et Bayrou veulent maintenant vous faire payer : bienvenue dans le monde de la TVA sociale

Au lieu de réparer ces injustices, Macron et Bayrou veulent désormais faire payer la note aux classes populaires en faisant 15 milliards d’euros d’économies. Leur solution ? Une vieille arnaque : la TVA sociale.

Macron n’ose pas prononcer le mot, mais dit vouloir « moins financer la Sécu par le travail » et « plus par la consommation ». Bayrou, lui, assume : il veut ouvrir ce débat.

Mais cette TVA sociale existe déjà. En réalité :

  • Les 90 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sont compensés par l’impôt, notamment la TVA.
  • Cela assèche le budget de l’État, qui ne peut plus financer correctement les écoles, les hôpitaux, la transition écologique.
  • Cela fait payer les ménages à la place des entreprises.

C’est le double effet injuste :

  • La TVA est l’impôt le plus inégalitaire : elle frappe tous les ménages, quel que soit le revenu, mais pèse bien plus lourd pour les plus modestes. Par exemple, la TVA représente 12,5 % du revenu des 10 % les plus pauvres contre seulement 4,7 % pour les 10 % les plus riches (rapport d’octobre 2023 du Conseil des prélèvements obligatoires).
  • Elle pénalise la consommation populaire, au risque de provoquer un effet récessif.

Et ce rejet est profondément ancré dans l’opinion publique. La TVA sociale est si impopulaire que même la droite en a déjà payé le prix politique. En 2007, entre les deux tours des élections législatives, Jean-Louis Borloo, alors ministre de Nicolas Sarkozy, évoque la mise en place d’une TVA sociale. L’effet est immédiat : malgré la dynamique créée par la victoire présidentielle de Sarkozy, l’UMP (ex Les Républicains) subit un revers inattendu et perd de nombreux sièges, affaiblissant sa majorité parlementaire. Même dans une vague bleue, la seule mention de cette mesure a suffi à créer un rejet massif.

Comme l’explique l’économiste Clément Carbonnier, cette stratégie repose sur quarante ans d’obsession néolibérale autour du « coût du travail ». Sauf que ça ne marche pas : les baisses de cotisations n’ont jamais créé massivement de l’emploi. En revanche, elles ont affaibli la protection sociale.

Mais le plus grave, c’est que ce glissement du financement de la Sécu vers l’impôt ouvre la voie à sa prise de contrôle directe par l’État. Dès lors que l’État devient le principal financeur, il peut affirmer : « Je finance donc je décide ». Et ce n’est pas anodin : cela signifie que la Sécurité sociale n’est plus gérée par les travailleurs eux-mêmes, ni par les partenaires sociaux, comme le prévoyait son modèle d’origine. Elle devient une simple ligne comptable dans le budget général, soumise à des coupes comme n’importe quel ministère.

Cette étatisation progressive, déjà à l’œuvre avec la réforme de l’assurance chômage, transforme un bien commun organisé par et pour les travailleurs en un outil de politique budgétaire piloté par Bercy. On passe ainsi d’un droit collectif à une dépense publique à « rationaliser ». La Sécurité sociale devient une variable d’ajustement de l’austérité.

Et ce que cette stratégie révèle, c’est une logique plus large. Comme l’analyse l’économiste Anne-Laure Delatte, ces réformes techniques sont des mesures d’austérité camouflées. D’un côté, on « optimise » les recettes. De l’autre, on étrangle les droits sociaux. Le tout sans débat démocratique.

Un choix de société : la Sécu est aux travailleurs, elle doit le rester

Ce que Macron et Bayrou veulent briser, ce n’est pas seulement un budget : c’est un principe. Celui d’une solidarité collective, d’une société qui protège plutôt que de punir, d’un monde où le soin n’est pas un luxe mais un droit.

Le déficit est artificiel, la TVA sociale est une escroquerie, et l’alternative est connue.

Il faut rétablir les recettes et le fonctionnement historiques de la Sécu ; supprimer les exonérations injustifiées ; taxer les dividendes et les grandes fortunes ; sortir la CADES du budget de la Sécu et faire reprendre par l’État les dettes indues du COVID.

La Sécurité sociale est le cœur de notre modèle social. Ne laissons pas ceux qui veulent sa fin maquiller leur projet sous des termes techniques.

Comme le disait Ambroise Croizat :

« Ne parlez pas d’acquis sociaux, parlez de conquis sociaux. Car le patronat ne désarme jamais. »

Par Elias Peschier

Sources:linsoumissio.Fr





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