Le
régime de la Sécu n’est pas structurellement en déficit. Les dépenses
de santé et de retraites sont globalement couvertes par les recettes. Ce
qui plombe les comptes, ce sont des charges externes et indues, comme
le remboursement de la dette COVID, transférée à la Sécurité sociale au
lieu de rester à la charge de l’État.
Ainsi, 92 milliards d’euros
ont été mis sur le dos de la Sécu, notamment pour financer le chômage
partiel, pourtant sans lien direct avec ses missions. Résultat : chaque
année, la Sécu rembourse 19 milliards d’euros à la CADES (Caisse
d’amortissement de la dette sociale). Contrairement à la dette de
l’État, que l’on fait rouler sans jamais rembourser le capital, la dette
sociale, elle, est remboursée intégralement.
Par ailleurs, la
pandémie de Covid-19 a fortement sollicité notre modèle social. Les
dépenses indirectes, comme les revalorisations du Ségur de la santé ou
l’effet de l’inflation sur les prestations, ont mécaniquement pesé sur
les comptes sociaux. Mais le vrai défi est structurel : une population
qui vieillit, moins de naissances, une croissance en berne (le FMI
prévoit à peine 0,6 % pour la France), et une hausse des besoins vitaux à
couvrir, notamment pour les retraites, la santé ou la dépendance. Face à
cela, que propose le gouvernement ? Rien, sinon des coupes et des
discours sur la rigueur.
Pourtant, une autre voie est possible :
réduire le temps de travail pour améliorer les conditions de vie, mieux
partager l’emploi et anticiper les mutations du travail. Mais cette
solution, pourtant rationnelle, écologique et juste, est absente des
radars d’un pouvoir qui préfère l’austérité à l’ambition sociale.
Le vrai problème : les recettes volées à cause des politiques macronistes
Il
ne s’agit donc pas d’un « trou de la Sécu » mais bien d’un trou dans
les recettes, creusé délibérément. Comme le rappelle Caroline
Michel-Aguirre sur C dans l’air : « 80 % du problème vient de la baisse des recettes
». Le rapport de la Cour des comptes est sans appel : la Sécurité
sociale perd chaque année 19 milliards d’euros à cause des exonérations
de cotisations et des primes défiscalisées. Pour ces dernières, c’est 9
milliards en plus qu’en 2018, soit une progression presque équivalente à
celle du déficit hors COVID.
Ce manque à gagner est
principalement dû aux politiques d’allègement de cotisations, qui
atteignent aujourd’hui près de 90 milliards d’euros par an. Présentées
comme des leviers pour l’emploi, ces exonérations n’ont pourtant jamais
démontré leur efficacité sur les salaires ou l’embauche. Elles ont
surtout permis aux entreprises de réduire leur contribution sans
contrepartie. Les dispositifs comme la « prime Macron » en sont
l’illustration parfaite : versée sans cotisation, elle contourne les
hausses de salaires pérennes et prive la protection sociale de
ressources essentielles. En clair : les employeurs encaissent, les
droits sociaux trinquent.
Ce basculement des cotisations vers
l’impôt n’est pas nouveau. Leur réponse a été d’alléger les cotisations
sociales, principalement au niveau du SMIC, avec pour corollaire une
transformation en profondeur du financement de la protection sociale :
sa fiscalisation croissante.
C’est dans cette logique qu’a été
instaurée la Contribution sociale généralisée (CSG) en 1990, destinée à
élargir la base de financement au-delà du seul travail salarié. Mais
loin de renforcer la Sécurité sociale, cette fiscalisation a contribué à
la rendre plus vulnérable aux arbitrages budgétaires de l’État, tout en
réduisant le lien direct entre cotisations et droits sociaux. Une
manière insidieuse de faire sortir la Sécu du giron des travailleurs
pour l’aligner toujours davantage sur les logiques d’austérité.
Manuel Bompard, coordinateur de LFI, l’a résumé clairement : le déficit de la Sécu est « le résultat de décisions politiques », pas d’une explosion des dépenses.
Et pourtant, des alternatives justes existent :
- Les
insoumis avaient proposé des amendements pendant les débats sur le
PFLSS (Projet de loi finances de la Sécurité sociale) générant 20
milliards d’euros de recettes supplémentaires, sans toucher aux droits.
- Une taxation des dividendes permettrait de récupérer 10 milliards par an.
- L’économiste Michaël Zemmour a montré qu’il suffirait d’augmenter
les cotisations de 0,15 point par an pendant 7 ans pour équilibrer les
retraites.
- Enfin, récupérer une partie des 60 milliards d’euros perdus par
Macron en cadeaux fiscaux annuels permettrait de redonner des marges aux
politiques sociales.
Face à l’hémorragie des exonérations
patronales, il est urgent également de réformer un système à bout de
souffle. Les économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer proposent une
refonte qui rompt avec trente ans d’obsession pour le « coût du travail
». Leur idée : lisser les exonérations en augmentant légèrement les
cotisations sociales sur les salaires proches du SMIC, et en les
réduisant progressivement jusqu’à 2,5 SMIC (contre 3,5 aujourd’hui).
Une
telle réforme permettrait non seulement de récupérer des recettes, mais
aussi de favoriser la revalorisation salariale, avec un impact neutre
sur l’emploi voire positif (+9 460 emplois selon leurs calculs).
Surtout, elle corrigerait un effet pervers bien connu : aujourd’hui,
augmenter un salarié proche du SMIC coûte plus cher à cause de la perte
d’exonérations. Ce piège à bas salaires serait enfin désamorcé, au
bénéfice des travailleurs et de la Sécurité sociale.
C’est une voie concrète, crédible, et infiniment plus juste que la TVA sociale.
Macron et Bayrou veulent maintenant vous faire payer : bienvenue dans le monde de la TVA sociale
Au
lieu de réparer ces injustices, Macron et Bayrou veulent désormais
faire payer la note aux classes populaires en faisant 15 milliards
d’euros d’économies. Leur solution ? Une vieille arnaque : la TVA
sociale.
Macron n’ose pas prononcer le mot, mais dit vouloir «
moins financer la Sécu par le travail » et « plus par la consommation ».
Bayrou, lui, assume : il veut ouvrir ce débat.
Mais cette TVA sociale existe déjà. En réalité :
- Les 90 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sont compensés par l’impôt, notamment la TVA.
- Cela assèche le budget de l’État, qui ne peut plus financer correctement les écoles, les hôpitaux, la transition écologique.
- Cela fait payer les ménages à la place des entreprises.
C’est le double effet injuste :
- La
TVA est l’impôt le plus inégalitaire : elle frappe tous les ménages,
quel que soit le revenu, mais pèse bien plus lourd pour les plus
modestes. Par exemple, la TVA représente 12,5 % du revenu des 10 % les
plus pauvres contre seulement 4,7 % pour les 10 % les plus riches
(rapport d’octobre 2023 du Conseil des prélèvements obligatoires).
- Elle pénalise la consommation populaire, au risque de provoquer un effet récessif.
Et
ce rejet est profondément ancré dans l’opinion publique. La TVA sociale
est si impopulaire que même la droite en a déjà payé le prix politique.
En 2007, entre les deux tours des élections législatives, Jean-Louis
Borloo, alors ministre de Nicolas Sarkozy, évoque la mise en place d’une
TVA sociale. L’effet est immédiat : malgré la dynamique créée par la
victoire présidentielle de Sarkozy, l’UMP (ex Les Républicains) subit un
revers inattendu et perd de nombreux sièges, affaiblissant sa majorité
parlementaire. Même dans une vague bleue, la seule mention de cette
mesure a suffi à créer un rejet massif.
Comme l’explique
l’économiste Clément Carbonnier, cette stratégie repose sur quarante ans
d’obsession néolibérale autour du « coût du travail ». Sauf que ça ne
marche pas : les baisses de cotisations n’ont jamais créé massivement de
l’emploi. En revanche, elles ont affaibli la protection sociale.
Mais
le plus grave, c’est que ce glissement du financement de la Sécu vers
l’impôt ouvre la voie à sa prise de contrôle directe par l’État. Dès
lors que l’État devient le principal financeur, il peut affirmer : « Je finance donc je décide
». Et ce n’est pas anodin : cela signifie que la Sécurité sociale n’est
plus gérée par les travailleurs eux-mêmes, ni par les partenaires
sociaux, comme le prévoyait son modèle d’origine. Elle devient une
simple ligne comptable dans le budget général, soumise à des coupes
comme n’importe quel ministère.
Cette étatisation progressive,
déjà à l’œuvre avec la réforme de l’assurance chômage, transforme un
bien commun organisé par et pour les travailleurs en un outil de
politique budgétaire piloté par Bercy. On passe ainsi d’un droit
collectif à une dépense publique à « rationaliser ». La Sécurité sociale
devient une variable d’ajustement de l’austérité.
Et ce que cette
stratégie révèle, c’est une logique plus large. Comme l’analyse
l’économiste Anne-Laure Delatte, ces réformes techniques sont des
mesures d’austérité camouflées. D’un côté, on « optimise » les recettes.
De l’autre, on étrangle les droits sociaux. Le tout sans débat
démocratique.
Un choix de société : la Sécu est aux travailleurs, elle doit le rester
Ce
que Macron et Bayrou veulent briser, ce n’est pas seulement un budget :
c’est un principe. Celui d’une solidarité collective, d’une société qui
protège plutôt que de punir, d’un monde où le soin n’est pas un luxe
mais un droit.
Le déficit est artificiel, la TVA sociale est une escroquerie, et l’alternative est connue.
Il
faut rétablir les recettes et le fonctionnement historiques de la Sécu ;
supprimer les exonérations injustifiées ; taxer les dividendes et les
grandes fortunes ; sortir la CADES du budget de la Sécu et faire
reprendre par l’État les dettes indues du COVID.
La Sécurité
sociale est le cœur de notre modèle social. Ne laissons pas ceux qui
veulent sa fin maquiller leur projet sous des termes techniques.
Comme le disait Ambroise Croizat :
« Ne parlez pas d’acquis sociaux, parlez de conquis sociaux. Car le patronat ne désarme jamais. »
Par Elias Peschier