Le 27 février 2025, une lettre du garant du débat public sur les deux
réacteurs nucléaires EPR2 prévus à Bugey (Ain) est publiée sur le site
de la Commission nationale du débat public (CNDP), autorité indépendante
chargée de garantir le droit à l’information et à la participation du
public sur les projets ayant un impact environnemental. Elle dénonce un
manque d’informations clés : coût, financement, cadre législatif.
Trois heures plus tard, la lettre est retirée.
L’épisode illustre la méthode macroniste suivie pour relancer le
nucléaire : décisions imposées, données absentes, débat verrouillé.
Annoncé
en 2022 par Emmanuel Macron, le programme EPR2 prévoit six réacteurs
construits sur les sites de Penly, Gravelines et Bugey, pour une mise en
service autour de 2040. Présenté comme une réponse à l’urgence
climatique, il soulève de nombreuses questions : explosion des coûts,
dépendance aux importations, montage financier risqué, exclusion des
alternatives. Un choix énergétique qui en dit long sur le modèle
politique qu’il sous-tend. Notre article.
Un débat verrouillé
Le 27 février, David Chevallier, garant du débat public sur les EPR2
de Bugey, publie une lettre adressée à la CNDP. Il y signale l’absence
de chiffrage actualisé, de plan de financement et de cadre législatif
clair. EDF reporte la présentation de son devis à fin 2025, bien après
la clôture du débat. La lettre est retirée du site quelques heures après
sa publication.
L’épisode illustre la faiblesse du processus en
cours. Les informations fondamentales manquent. La discussion est lancée
sans base solide. Le débat est réduit à un habillage démocratique
autour d’une orientation déjà actée.
Pour aller plus loin : Uranium : une mythique envolée et la place fondamentale de la France
EPR 2 : un coût qui échappe à toute maîtrise
Le
coût du programme EPR2 ne cesse de grimper : 51,3 milliards d’euros en
2021, 67,4 milliards en 2024, 79,9 milliards selon la Cour des comptes
début 2025. Son président évoque désormais une enveloppe « susceptible
de dépasser les 100 milliards ».
Aucun devis actualisé n’est
communiqué. Le public est invité à se prononcer à l’aveugle sur un
projet à trois chiffres. L’exemple de l’EPR de Flamanville, avec ses
douze ans de retard et son budget multiplié par cinq, n’a pas servi de
leçon. La dérive budgétaire semble désormais structurelle.
Une consultation sans fondement démocratique
Depuis
le discours de Belfort d’Emmanuel Macron, le calendrier s’est accéléré.
Mais les fondations légales et démocratiques font défaut. Aucune loi de
programmation énergie-climat. Aucun cadrage sérieux des besoins futurs.
Aucun examen rigoureux des alternatives, notamment les scénarios 100 %
renouvelables.
La consultation est lancée sans réelle possibilité
d’amendement. Elle valide l’existant, sans ouvrir de champ des
possibles. La démocratie environnementale est reléguée au second plan.
La facture pèse sur les finances publiques
Le
financement du programme EPR2 repose sur deux instruments : un prêt
bonifié de l’État et un contrat pour différence garantissant un prix de
vente de l’électricité à 100 €/MWh. Le prêt, accordé à un taux réduit,
pourrait couvrir plus de la moitié des coûts. D’après l’association
Énergies renouvelables pour tous, il représenterait au moins 56,7
milliards d’euros, même dans l’hypothèse la plus favorable.
Le
contrat pour différence engage quant à lui l’État à compenser la
différence si le coût de production dépasse le prix garanti — ce qui est
déjà le cas selon les estimations de Greenpeace, qui évaluent le coût
réel au-delà de 150 €/MWh.
Un semblant de souveraineté
Le
chef de l’État dit du nucléaire qu’il est un pilier de la souveraineté
énergétique. Dans les faits, la France dépend entièrement de l’uranium
importé. Le Niger a mis fin à sa coopération. La Russie reste un
fournisseur central. EDF se tourne vers la Mongolie et l’Ouzbékistan. La
souveraineté se construit sur le territoire, pas dans la dépendance aux
régimes autoritaires.
Les énergies renouvelables, en revanche,
sont locales, stables, adaptables aux territoires. Leur développement
permettrait une reprise en main réelle des capacités de production. Mais
elles sont toujours reléguées au second rang dans les choix
budgétaires.
Une autre trajectoire est possible
La
transition énergétique ne passe pas uniquement par la production. Elle
implique de réduire les besoins. La rénovation thermique permettrait de
diminuer drastiquement la consommation tout en luttant contre la
précarité énergétique. Le développement du solaire, de l’éolien, de la
géothermie, associé à des réseaux intelligents et au stockage, offre une
alternative concrète, rapide et maîtrisée.
Les scénarios 100 %
renouvelables, défendus par La France insoumise depuis des années, sont
techniquement viables. Le financement existe, à condition de rompre avec
les logiques d’investissement imposées. La réorientation des dizaines
de milliards engagés dans le nucléaire permettrait de structurer une
transition énergétique juste, planifiée, partagée.
Ce que révèle le dossier EPR2
Ce
projet révèle deux impasses : une politique énergétique hors de
contrôle, et une démocratie environnementale fragilisée. La lettre
censurée du garant n’est qu’un symptôme. Les informations sont retenues,
les alternatives invisibilisées, le débat neutralisé. La relance
industrielle du nucléaire, présentée comme une évidence stratégique par
la macronie, est une fausse route. Coûteuse, lente, dépendante de
ressources importées, elle détourne les investissements nécessaires à
une véritable bifurcation énergétique. Elle fige pour plusieurs
décennies une trajectoire incertaine, au moment où la rapidité et la
souplesse d’adaptation sont cruciales.
Face à cela, La France
insoumise défend une autre orientation. Réinvestir dans la rénovation,
les énergies renouvelables, les régies publiques. Reprendre la main sur
la planification. Sortir progressivement du nucléaire, en sécurisant
l’approvisionnement, en garantissant la justice sociale, et en
respectant l’exigence climatique. Définir les priorités à partir des
besoins du pays, pas des intérêts d’un secteur. Ce choix est politique.
Il ne peut pas rester confisqué.
Par M.B.
Crédits photo : « Centrale nucléaire de Flamanville en 2023 », Tristan Kamin, Wikimedias Commons, CC BY-NC-ND 3.0 FR, pas de modifications apportées.