Lucie Castets, quand l’attente en valait la peine !
Le 22 juillet au soir, les millions de citoyens qui espéraient depuis des jours ont lâché un soupir de soulagement collectif. Un nom, celui de Lucie Castets, était sorti des discussions à gauche, et une Première ministre émergeait, le fruit du consensus. L’on sait toutes les impatiences, toutes les injonctions, qui s’exprimaient dans les médias par des individus à la sincérité diverse. On a vu, par exemple, de tristes sires hurler à la nullité de la gauche, un peu vite, pressés de jeter le programme aux orties afin de commencer à transiger avec les forces du capital.
Lucie Castets, l’intérêt général comme boussole
L’ensemble de sa carrière démontre la haute idée qu’elle se fait de l’intérêt général, à commencer par ses premières incursions dans le domaine de la lutte contre la criminalité financière. Dès 2010, en effet, elle rejoignait la Banque Mondiale en tant que consultante au sein de l’unité de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, pour une mission de sept mois. Pour qui se remémore l’affaire Lafarge, on sait que ces problématiques sont hélas loin d’être étrangères aux grandes multinationales occidentales, y compris françaises.
Après un parcours remarquable au sein de l’ENA, Lucie Castets rejoint en 2016 le bureau criminalité financière et sanctions internationales de la Direction générale du Trésor, et devient cheffe des affaires internationales de TRACFIN en 2018. TRACFIN, c’est-à-dire le principal service de renseignement français chargé de la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent. L’enjeu de cette fraude fiscale est énorme. Selon le rapport fait au nom de la commission des finances pour 2024 (n° 1680), piloté par Jean-René Cazeneuve et Charlotte Leduc, on parlerait de 80 à 120 milliards d’euros par an !
Fonctionnaire, envers et contre tout
Or, à cette position, Lucie Castets a pu constater à quel point l’État organise la désertion générale face à la fraude. Comme l’observait Swan Faïve, de l’Institut Rousseau, dans un billet du 25 avril 2022, « la lutte contre la fraude fiscale est aujourd’hui mise en danger en France par une politique de long terme de contraction des effectifs de la fonction publique ».
Cette contraction, ce n’est rien d’autre qu’une coupe claire dans les effectifs, puisque la DGFIP, c’est-à-dire la direction des finances publiques, a vu ses moyens humains fondre de 10,55% de 2010 à 2015, et de 10,53% de 2015 à 2020. Les conséquences sur le terrain sont importantes. Par exemple, cela a conduit à fermer 7 trésoreries dans le Nord-Pas-de-Calais au 1er janvier 2022, à fermer 2 pôles de contrôles dans le Val d’Oise entre 2019 et 2022 ou encore à planifier la suppression de 4 brigades de vérification dans les Hauts-de-Seine.
Rappelons, pourtant, que, en 2022, l’action des services de contrôle a mis en recouvrement 14,6 milliards d’euros d’impôts ! Alors que, pour donner un ordre d’idée, les dépenses de personnel de l’ensemble de la DGFIP, donc bien au-delà des agents contribuant aux contrôles fiscaux, étaient de 6,76 milliards d’euros, en incluant les pensions.
Ainsi, diminuer les moyens des corps de contrôle relève d’un choix purement idéologique que Lucie Castets fut bien placée pour observer. Or, face à cette gabegie et cette trahison généralisée envers la solidarité nationale, elle ne resta pas inactive ! Au contraire, elle devint l’une des animatrices et portes paroles clé du collectif Nos services publics. Il s’agit d’un regroupement de praticiens des politiques publiques, à tous niveaux, unis dans leur volonté de protéger et de restaurer les services publics attaqués, entre autres par le séparatisme financier de quelques-uns et la complicité des derniers gouvernements qui se sont succédés.
La philosophie insoumise du collectif Nos services publics
Ce collectif a acquis, en quelques années, une réputation d’inattaquable sérieux et de probité, et a produit récemment le rapport sur l’état des services publics pour l’année 2023 qui donne à penser sur l’état de la nation.
Lucie Castets est parmi les auteures, et le propos doit parler aux insoumis, dont le programme a toujours été de « gouverner par les besoins ». Oui, puisque dans le rapport précité, nous pouvons lire que « aux cours des dernières décennies, les besoins sociaux ont augmenté et évolué » mais que les moyens publics, eux ont depuis vingt ans, augmenté « moins rapidement que les besoins sociaux, et l’écart entre les premiers et les seconds tend à s’aggraver ». C’est donc une philosophie très comparable à celle du mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon qui se dessine, où l’on questionne les besoins avant de se positionner sur les réponses à apporter.
D’ailleurs, il est également tiré des constats éminemment politiques de l’inadéquation entre besoins sociaux et réponses publiques. Le Collectif fait observer que cela mène à « un espace croissant pour le développement d’une offre privée lucrative ».
Il identifie avec pertinence que les services privés qui cannibalisent l’espace public se caractérisent par un coût nettement supérieur au service public ainsi remplacé, et une absence d’accueil inconditionnel, malgré une double dépendance au financement public et aux infrastructures.
Par exemple, les écoles privées sous contrat ont beau ne pas progresser en capacité d’accueil, elles scolarisent une part croissante de familles à fort capital culturel. Ainsi on voit que le privé concentre 40% d’enfants de familles très favorisées en 2021 contre 29% en 2003. Et, dans le même temps, la proportion d’enfants issus de milieux défavorisés est passée de 27 à 19%. Face aux classes surchargées et au naufrage des établissements publics à la Blaise Cendrars, le séparatisme social s’organise donc et les services publics sont laissés à leur déliquescence par ceux qui peuvent s’en extraire.
C’est précisément contre ce phénomène que Lucie Castets et son Collectif ont mené le combat en s’appuyant sur des analyses d’une implacable rigueur.
Autre point sur lequel nous pouvons avoir confiance en Lucie Castets, c’est la question de l’opposition nette au Rassemblement national et aux chimères qu’il agite sous les yeux des français.
Le 27 février 2024, dans Alternatives économiques, elle signe un billet d’opinion sur le rapport antagoniste du RN aux services publics, et martèle « en matière de fiscalité, le RN porte des propositions qui conduiraient à totalement assécher les services publics en les privant de sources de financement ».
Elle ajoute « la vision portée par le RN est de nature à mettre profondément à mal les principes au cœur des services publics : un accueil universel et inconditionnel ». Et remarque avec acuité que « la victoire idéologique revendiquée par le RN lors du vote de la loi immigration met à mal l’universalité de l’accès aux prestations délivrées par les services publics de notre pays ».
Cette femme n’est donc pas qu’une technicienne sans âme, si l’on en doutait, c’est une citoyenne résolument tournée vers les valeurs d’universalité et de fraternité qui sont au cœur de ce que doit porter le Nouveau Front Populaire. Sans céder un pouce de terrain face à l’extrême droite sur la question des valeurs, elle peut aussi attaquer sous un angle que détestent le duo Le Pen – Bardella, à savoir la maîtrise des dossiers et la capacité à gouverner.
Ne doutons pas non plus de sa volonté de mener la lutte hors les murs. Comme l’exprime Frédéric Hocquard au journal Le Monde ce 24 juillet : « c’est un profil original, on peut la croiser en semaine quand on négocie et elle ne laisse rien passer, et le week-end dans une manifestation contre la réforme des retraites ou dans les meetings du NFP ». Signe, d’ailleurs, de son engagement sur la question des retraites, elle a répondu sans trembler à la question qui lui était posée à la matinale de France Inter en affirmant : « parmi nos priorités il y a l’abrogation de la réforme des retraites ».
Contrairement à d’autres profils que certains ont tenté d’imposer à la gauche pour mieux l’enfumer, ici il n’est pas question de « gel » ou d’atermoiements, mais d’une abrogation ferme de cette loi contre laquelle 93% des actifs s’étaient positionnés et qui a été imposée aux français par l’arrogance d’un président et les matraques des forces répressives.
L’autoritarisme d’Emmanuel Macron, classique et classiste
Arrogance d’un président, oui, qui est déterminé à nous en donner la pleine mesure, jusqu’à un niveau probablement jamais atteint sous la Vème République. Les français ont pu, effarés, l’entendre balayer d’un revers de main la question de la nomination de Lucie Castets ou la victoire du Nouveau Front Populaire. Et quand, justement, il lui a été posé la question de la réforme des retraites, il a annoncé ne pas vouloir « revenir en arrière » avant de donner tous les signes qu’il comptait gouverner à droite, tout en décrétant une pause politique jusqu’à la mi-août !
Alors que trois blocs ont émergé du suffrage universel et que l’un est en tête, alors qu’il propose comme Première ministre la femme remarquable dont nous avons dépeint les engagements et les convictions, c’est encore une fois la confiscation de la démocratie que l’on tente de nous faire accepter. Tout démontre que les aspirations à la justice sociale et à l’équité fiscale, pourtant clairement affirmées par les Français, sont sur le point d’être piétinés si le corps social laisse faire.
Or, évidemment, la gauche unie ne saurait capituler. Il faut voir dans la détermination antidémocratique d’Emmanuel Macron l’angoisse que Lucie Castets puisse effectivement changer les choses et se placer à la tête du gouvernement populaire. En ce sens, sa défiance et sa rébellion contre le peuple sont le plus beau des hommages pour celle qui a été choisie par l’union de la gauche.
Restera donc à imposer la réalité à ce président jupitérien, qui n’écoute ni l’opinion publique, ni les partenaires sociaux, ni le suffrage universel. Pour ce faire la mobilisation de tous devra être au rendez-vous et en particulier celle des syndicats, qui sont, eux, légitimes à impulser le mouvement social pendant cette période olympique où toute pression inquiétera le pouvoir.
On sait les réticences des membres de la société civile et des militants syndicaux à s’engager dans une action politique aux côtés de partis, mais ce dogme de l’isolationnisme a déjà été en partie rompu par Sophie Binet. Il faut aller plus loin ! Le braquage de la démocratie à laquelle nous assistons risque de mettre au pouvoir une coalition de la droite dure associée à la Macronie, qui pavera le chemin du Rassemblement National, et mènera une action profondément antisociale et hostile aux travailleurs, et aux syndicats.
Aujourd’hui que le Nouveau Front Populaire se tient en rang serrés et qu’une femme courageuse, compétente, et déterminée, a accepté la responsabilité de conduire la nation, l’instant est historique et l’hésitation pourrait être fatale.
Sources: l'insoumission.fr (Nathan Bothereau)