Tropes antisémites : l’usure, le trouble et la division
Après avoir fait un point sur le régime concordataire normalisant « les rapports avec les catholiques », le ministre de l’Intérieur évoque les « difficultés touchant à la présence de milliers de Juifs en France ». Pour l’auteur, elles sont dues au fait que « certains d’entre [les Juifs] pratiquaient l’usure et faisaient naitre troubles et réclamations ».
(Gérald Darmanin,le séparatisme islamiste Manifeste pour la laïcité,page 27)
Scientifiquement fausse, comme l’a rappelé l’historien Pierre Birnbaum dans une interview le 25 mars 2021, cette assertion repose sur un argument antisémite majeur puisant dans la – déjà longue – tradition européenne qui considère les Juifs, entre autres, comme des « animaux calculants », avides d’argent . Cela n’empêche pas l’auteur d’expliquer que les « troubles » qui préoccupaient Napoléon étaient le résultat de « la place des Juifs au sein de la communauté nationale ».
Le ministre cite ensuite une lettre de l’Empereur envoyée à son ministre de l’Intérieur quelques mois plus tôt, le 22 juillet 1806. Dans celle-ci, l’empereur y annonce vouloir « concilier croyances des Juifs avec les devoirs des Français » et « les rendre citoyens utiles ». Cet adjectif est important car, effectivement, les Juifs sont déjà citoyens (depuis 1791) : pour l’Empereur, l’enjeu est, donc, non de les faire citoyens mais bien de transformer les conditions de leur citoyenneté dans le but de mettre fin à ce qu’il considère être une inutilité sociale et « porter remède au mal auquel beaucoup d’entre eux se livrent au détriment de [ses] sujets ».
Mobilisant à nouveau la figure du Juif usurier fauteur de trouble et profiteur, notre ministre de l’Intérieur se fait, encore une fois, le relai d’un fantasme antisémite. Mais en l’étoffant : au peuple avide d’argent se combine l’idée qu’il s’organiserait spécifiquement, et distinctement des autres citoyens, dans l’objectif de déstabiliser les pouvoirs et les peuples. Exclus de la communauté nationale par le distinguo entre « les Juifs » et « les Français » [5], les Juifs deviennent ainsi un véritable ennemi intérieur, menaçant et organisé, une sorte d’« État dans l’État » : une « nation particulière dans la Nation ». Nous sommes ici en présence d’un second trope antisémite récurrent, ancien et redoutable : les Juifs sont assimilés à une puissance occulte, organisant le complot en vue de la déstabilisation de l’ordre social et politique en place.
Dans son texte, enfin, Darmanin – comme Napoléon avant lui – use d’un ressort classique des discours empreints de racisme : faire porter aux victimes la responsabilité des violences qu’elles subissent. Ainsi, si « la place des Juifs au sein de la communauté nationale » était cause de « troubles », c’est, selon le ministre, parce qu’ils pratiquaient l’usure et non parce que l’antisémitisme les désignaient comme coupables.

Sources: Napoléon Darmanin et la grammaire antisémite